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Paul Magnette : les cinq défis d’un président affaibli et menacé de l’intérieur

par Rédaction
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ANALYSE – « La vague bleue s’est fracassée sur le mur rouge. » Vraiment ? Avec un peu de recul, les propos tenus le soir des élections par Paul Magnette devant les militants carolos apparaissent surtout comme la réaction rapide, émotionnelle et un peu maladroite d’un homme sous pression, qui sait qu’il vient d’échapper à un grand règlement de comptes au sein de son parti. Car le PS n’a pas gagné les élections communales et provinciales, loin s’en faut. Et si le parti de Paul Magnette sauve les meubles dans les métropoles et en région bruxelloise, le scrutin du 13 octobre va laisser des traces chez les socialistes. Voici les cinq enjeux majeurs que Paul Magnette devra régler dans les prochaines années s’il veut rester à la tête du PS et ramener son parti dans les gouvernements en 2029.

Les villes perdues et gagnées

Près d’une semaine après le vote, l’euphorie du patron du PS semble un peu déplacée. Car si le PS a sauvé ses métropoles, comme Liège, Charleroi et Bruxelles-Ville, le bilan global des pertes et des conquêtes montre un solde négatif. À Charleroi et à Liège, les socialistes restent les dominateurs absolus. Le PS carolo a même progressé dans les urnes, grâce à son bilan, à sa forte implantation mais aussi, sans doute, grâce au suspense et à la petite compétition interne (Thomas Dermine contre Julie Patte) créés par le retrait de Paul Magnette dans sa ville.

À Liège, les travaux du tram ont causé moins de dégâts qu’attendu pour la liste de Willy Demeyer, qui limite la casse même s’il faut noter que le PS embarquait cette fois avec lui l’équipe de Vega, qui pesait quand même plus de 4 % en 2018. À Mons, la victoire de Nicolas Martin est nette, tant au niveau de la liste que de son duel avec Georges-Louis Bouchez. Il n’a toutefois manqué qu’une poignée de voix au maïeur montois pour obtenir une majorité absolue, ce qui l’oblige aujourd’hui à se trouver un partenaire. Avec la liste Mons en Mieux de GLB ? Nicolas Martin l’a exclu, mais en coulisses, Jacqueline Galant (ministre et présidente de l’arrondissement) utilise ses réseaux et sa diplomatie de proximité pour réaliser ce qui semble tout de même impossible : remettre les deux rivaux autour de la même table.

Mais pour le reste, le tableau dans les villes n’est pas glorieux pour le PS, qui perd Tournai, une vraie grande ville, mais aussi Verviers, Sambreville, Thuin et pas mal de communes de moyenne importance en Hainaut et en province de Liège, quand le PS n’est pas contraint d’ouvrir sa majorité. Localement, le PS récupère Amay et quelques autres communes, mais le tableau global reste négatif.

Le recul est encore plus significatif au niveau des provinces, jadis une sorte de chasse gardée socialiste. Les projections des provinciales au niveau wallon indiquent que le PS est désormais le troisième parti en Wallonie, loin derrière le MR mais dépassé aussi par l’ascension des Engagés. Le PS troisième parti wallon ? À une époque, ce seul résultat aurait suffi à provoquer une révolution interne et un changement de présidence. Mais si Paul Magnette a sauvé – pour l’instant – sa place, sa position est loin d’être solide.

Quelle place pour Magnette ?

Le principal défi pour Paul Magnette aujourd’hui consiste à trouver sa place dans la nouvelle configuration politique belge. Le Carolo ayant laissé la direction de sa ville à Thomas Dermine, il va pouvoir se concentrer totalement sur son rôle potentiel de chef de l’opposition, notamment au fédéral. Sur le papier, le gouvernement Arizona a tout pour déplaire à Paul Magnette : un centre de gravité qui penche fortement à droite et un Premier ministre qui devrait être Bart De Wever. Car même si le PS a eu des contacts réguliers avec Bart De Wever pour imaginer l’évolution du pays, le programme socio-économique, sécuritaire et la nature séparatiste de la N-VA sont aux antipodes des valeurs et des priorités socialistes.

Mais le PS devra s’imposer dans ce rôle de moteur de l’opposition, car sur ce terrain-là, il sera en compétition directe avec le PTB de Raoul Hedebouw, qui n’est pas le dernier quand il s’agit de prendre la lumière. Autre petit caillou dans la chaussure de Paul Magnette : la présence probable des « socialistes flamands » de Vooruit au sein de l’Arizona. On sait que les deux partis « frères » ont pris des chemins divergents sur bien des questions, mais il est évident que Conner Rousseau (président de Vooruit) et même les Engagés de Maxime Prévot tenteront d’apparaître comme le refuge progressiste au sein du prochain gouvernement.

Paul Magnette devra jouer des coudes pour s’imposer. Or, le Carolo est plus fort quand il brille seul à la tribune, moins quand il doit s’engager dans la mêlée politique, qui a tout d’une jungle.

Détail important : le mandat du président du PS court jusqu’en mars 2027, soit deux ans avant les prochaines élections législatives. Ce calendrier est plutôt favorable à Paul Magnette, car il lui laisse deux bonnes années pour reconstruire le parti avant les élections internes, assez pour affirmer une nouvelle identité, une nouvelle colonne vertébrale idéologique. Et même si les socialistes décidaient en 2027 de changer de pilote, le temps avant les élections serait suffisant pour donner de la légitimité à l’éventuelle nouvelle présidence.

La nouvelle garde et le partage du pouvoir

Mais cette reconstruction, Paul Magnette devra la mettre en place de manière collective. Car derrière le Carolo, certains ne cachent plus leurs ambitions. Nicolas Martin, par exemple, a réalisé un score impressionnant en battant GLB et en obtenant un meilleur score personnel que Paul Magnette ou Thomas Dermine, qui se présentaient pourtant dans une ville (Charleroi) beaucoup plus peuplée que Mons. Le bourgmestre montois, qui a déjà poussé Elio Di Rupo vers la sortie dans sa ville, n’a pas caché sa volonté de prendre du galon au sein du parti. Et à défaut d’être ministre, il voudra avoir son mot à dire. Même chose pour tous ces ténors, comme Thomas Dermine et Christie Morreale, qui ont dû se trouver un nouveau défi urbain après avoir perdu leur poste ministériel (NDLR : Thomas Dermine est toujours secrétaire d’État en affaires courantes) et qui ne se contenteront pas longtemps d’un poste de bourgmestre ou de chef de groupe au parlement wallon (pour Christie Morreale).

La sécession bruxelloise

L’expression est un peu forte, certes, mais les socialistes bruxellois ont décidé depuis des mois de s’affranchir en partie de la tutelle de la présidence du parti. Les désaccords fréquents et assez durs entre Paul Magnette et Ahmed Laaouej (le président des socialistes bruxellois) ne se comptent plus, notamment sur certaines postures communautaires et sur une éventuelle participation au prochain gouvernement bruxellois. Mais Ahmed Laaouej possède désormais un totem d’immunité au PS, qui lui confère une attitude et une liberté d’action presque totales. Car en juin, comme lors des élections du 13 octobre, le PS bruxellois s’est largement maintenu, ce qui a permis au PS d’être dans une meilleure position au fédéral, mais aussi de gagner de nombreuses communes.

Le score des listes PS, cumulé au grand talent de négociateur de Laaouej, a permis aux socialistes de conquérir plusieurs communes où ils n’étaient pourtant pas les mieux placés, comme à Ixelles ou Anderlecht. Et ne parlons même pas de Catherine Moureaux à Molenbeek, qui est elle-même un électron libre que personne ne contrôle et qui a décidé d’entamer des discussions avec le PTB et la liste Ahidar. Ce qui risque de créer un précédent délicat.

Paul Magnette reprendra-t-il le contrôle sur Bruxelles ou va-t-il décider, ici aussi, de faire entrer un interlocuteur de plus au sommet du parti ? Si la collégialité peut être un atout pour le PS, attention à ce que cela ne transforme pas le parti en un grand bazar où on ne sait plus très bien qui donne la ligne ni qui prend la décision finale… Cela pourrait affaiblir Paul Magnette et se transformer en un dangereux boomerang.

Les alliances de demain

Aujourd’hui, Maxime Prévot doit regretter qu’il n’y ait plus de scrutin prévu dans les prochains mois, car au rythme où ils progressent, les Engagés auraient sans doute menacé le leadership des libéraux. Cela étant, Prévot a envoyé un message très fort dans la foulée du scrutin, en démontrant bien que les Engagés ne comptaient pas devenir un satellite du MR. Le score du parti turquoise et les « prises » de villes comme celles de Wavre ou de Nivelles, sont là pour rappeler que les Engagés vont jouer leurs propres cartes à tous les niveaux et profiter de leur position centrale sur l’échiquier politique pour peser un maximum sur les décisions. Georges-Louis Bouchez ne doit pas s’attendre à un partenaire trop docile au sein des différents gouvernements. Au contraire, plus les prochaines échéances électorales approcheront et plus les Engagés tenteront de marquer leurs différences. Car l’ADN et toute l’histoire des partis centristes montrent qu’ils regardent un coup à droite, puis un coup à gauche. C’est sans doute ce que Paul Magnette doit espérer aujourd’hui.

V.S.

(Photo : Belga)

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