Le politologue Thibault Muzergues voit émerger un nouveau mouvement idéologique : le post-populisme, qui associe un conservatisme sociétal et un libéralisme économique. Trump, Meloni et… Bart De Wever pourraient s’en revendiquer. Entretien.
21 News : Comment définiriez vous ce que vous appelez le post-populisme ?
Thibault Muzergues : Le post-populisme est né de la convergence entre partis de droite classiques et parti populistes. C’est un conservatisme qui n’est ni une révolte droitière populiste, ni une réaction systématique au libéralisme ou au progressisme. C’est plutôt un conservatisme évolutionniste de tendance burkienne, du nom d’Edmund Burke, le penseur britannique des Lumières qui a inspiré le modèle conservateur anglo-saxon mêlant la nécessité de l’évolution à l’impératif de la conservation. Ses grandes lignes sont : un libéralisme économique au niveau national doublé d’un protectionnisme, un conservatisme sociétal et une fermeté à l’égard de l’immigration. On peut voir Donald Trump dans cette mouvance.
21 News : Dans votre livre intitulé ‘Post-populisme’, vous estimez qu’en Europe, c’est le gouvernement de Giorgia Meloni qui trace une nouvelle voie dans le paysage politique….
Th. M. : En effet. Giorgia Meloni est parvenue à dépasser le populisme, qui se définit surtout par son opposition entre élite et peuple. On associe souvent le mot populisme à la droite mais il y a également des populismes de gauche, comme les Indignés ou Occupy Wall Street. Le populisme est d’abord un style de gouvernement qui se définit par ce qu’il entend combattre, à savoir les élites qui refuseraient d’appliquer les politiques de bon sens demandées par le peuple. En Italie, Berlusconi avait déjà joué cette carte ainsi que Matteo Salvini. Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni a dépassé cette division peuple/élite pour retourner vers une division plus classique gauche/droite.
La N-VA est post-populiste : libérale économiquement, attachée à l’Union européenne
21 News : Il s’agit de l’idéologie portée par le groupe parlementaire européen, Conservateurs et réformistes européens (CRE).
Th. M. : Depuis environ dix ans, la droite européenne est divisée en trois groupes distincts : du côté des partis traditionnels de gouvernement, le PPE, dominé par la CDU allemande, qui n’a pas hésité à gouverner avec le centre et la gauche ; le CRE, plus eurosceptique, mais toujours lié aux institutions européennes ; enfin, ID, identitaire devenu Patriotes pour l’Europe et souvent europhobe. Je pense que le CRE va voir son influence idéologique augmenter. Je prends l’exemple de l’Allemagne, où la CDU épouse une position libérale sur la défense des libertés individuelles et économiques, mais un conservatisme assumé sur les questions de société et d’immigration. En France, on peut imaginer, pour sortir du dilemme droite classique-droite lepéniste, que la liste LR (Les Républicains) se réinvente en parti post-populiste.
21 News : En Belgique, quel est le parti qui représente selon vous, cette place sur l’échiquier politique ?
Th. M. : La N-VA. Elle défend clairement un libéralisme économique et une droitisation de la société tout en s’inscrivant dans une fidélité aux institutions européennes.
Un tabou levé sur l’identité de l’Occident et ses valeurs
21 News : Quelle serait la différence avec ce que l’on appelle l’extrême-droite ?
Th. M. : En Europe, il s’agit à la fois du soutien au libéralisme économique et de l’attachement à l’Union européenne. C’est ce qui le distingue du groupe parlementaire européen Patriotes pour l’Europe, l’ex-Identité et Démocratie, où siège le Rassemblement National de Marine Le Pen, la Lega de Matteo Salvini ou encore le Vlaams Belang de Tom Van Grieken.
21 News : La présence de l’Islam radical dans différentes sphères de la société, y compris dans les écoles, a été un des moteurs de la montée en puissance des partis populistes de droite. Comment se situe le post-populisme à cet égard?
Th. M. : Il contribue à effacer la digue qui existait entre l’extrême-droite et la droite classique institutionnelle. Il n’y a plus aujourd’hui de partis de droite qui ne soient pas favorables à une limitation accrue de l’immigration. Il a par ailleurs levé le tabou qui s’était installé au cours des années 2000-2010 sur l’identité de l’Occident et ses valeurs. Pour la droite post-populiste, cet Occident existe bien et vaut la peine d’être défendu. Ce positionnement très clair prend complètement à contrepied la disruption populiste qui s’était fondée sur l’idée de la décadence inexorable de l’Occident et la montée en puissance du modèle autoritaire sino-russe.
Thibault Muzergues, Post-populisme, la nouvelle vague qui va secouer l’Occident, Éditions de l’Observatoire, 2024, 252 pages
Propos recueillis par M.V.
(Photo Ferenc ISZA / AFP : la Première ministre italienne Georgia Meloni accueillie par son homologue hongrois Viktor Orban au sommet de Budapest, le 7 novembre 2024)