Le mandat donné à Donald Trump est limpide, selon notre chroniqueur Louis Sarkozy. Le 47e président des États-Unis a les coudées franches pour appliquer son programme. Avec des conséquences encore difficiles à cerner pour l’Europe.
Donald Trump prêtera serment en janvier en tant que 47e président des États-Unis. Les chancelleries européennes qui anticipent une simple répétition de son mandat de 2016 se trompent. Cette fois-ci, le peuple américain a donné à M. Trump un mandat solide : il a remporté les sept États clés, le vote populaire, ainsi que le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants. De plus, sa purge au sein du parti républicain est achevée, ne laissant pratiquement aucune opposition crédible au sein de sa famille politique. En 2016, bien que Donald Trump ait surpris le monde en se faisant élire, il était encore entouré par la vieille garde républicaine, prête à le tempérer et à le surveiller. Ces « adultes dans la pièce » ont désormais été écartés, exclus et bannis. Ce qui reste aujourd’hui, ce sont des loyalistes farouches, sans l’influence modératrice que leurs prédécesseurs pouvaient exercer. Il ne s’agit donc pas d’un second mandat de Trump, mais du premier véritable.
Les conséquences pour l’Europe sont difficiles à cerner pour deux raisons principales. D’une part, Donald Trump incarne l’imprévisibilité même. Il a montré à maintes reprises qu’il n’hésite pas à renoncer à ses déclarations passées et peut changer d’avis sur une question essentielle sans avertissement. Cette imprévisibilité est d’ailleurs une force redoutable en matière de politique étrangère. Lorsqu’un adversaire demeure insondable, ses rivaux restent sur leurs gardes et examinent chacune de ses actions avec une prudence accrue. Une critique largement justifiée de l’administration Biden était justement cette prévisibilité, qui réduisait son potentiel de dissuasion face aux autres nations. Ainsi, il est tout à fait envisageable que Trump modifie sa position sur des sujets qu’il semblait autrefois défendre fermement.
Trump imprévisible, mais dans une continuité institutionnelle
Deuxièmement, il convient de ne pas exagérer certaines différences entre l’administration Trump et l’administration Biden-Harris. En réalité, une grande continuité institutionnelle existe entre les deux. Les vraies révolutions sont anathèmes au caractère politique américain. Même la guerre d’indépendance de 1776 est souvent qualifiée de « révolution conservatrice », visant moins à inaugurer une ère nouvelle qu’à restaurer ce qui a été – c’est à dire une plus grande autonomie pour les colonies. Les pères fondateurs s’inspiraient avant tout de penseurs tels que Burke et Locke, ce qui questionne leur véritable portée révolutionnaire !
Les présidents américains sont guidés par des tendances historiques profondes, peu modifiables par une élection. Le désengagement progressif de l’Amérique de l’Europe au profit d’une orientation vers le Pacifique — le fameux « pivot vers l’Asie » — aurait continué même avec une présidence Harris. De même, la résurgence de l’isolationnisme américain — la philosophie dominante de la politique étrangère tout au long de l’histoire du pays — est vouée à perdurer. La différence se serait principalement jouée au niveau de la rhétorique : Harris aurait opté pour un ton plus diplomatique, tandis que Trump s’exprime de façon plus brutale. Mais les actes, eux, seraient restés similaires. Le Français que je suis se souvient de la promesse de Biden en 2020 de devenir un meilleur allié pour « nos amis européens » — promesse qui fut rapidement trahie avec l’accord AUKUS, au détriment des intérêts de la France.
Ainsi, malgré leurs différences réelles, de nombreux aspects seraient demeurés inchangés. Avec ces deux mises en garde en tête, explorons maintenant quelques conséquences possibles pour notre continent.
Tarifs douaniers
Il est fort probable que les tarifs douaniers resteront l’outil principal de Trump en politique étrangère. Son objectif de longue date s’est davantage orienté vers la réduction du déficit commercial plutôt que l’ouverture de nouveaux marchés pour les entreprises américaines. La politique de l’ancien président sur les pratiques commerciales déloyales de la Chine ont reçu un tel appui bi-partisan que Biden a maintenu les tarifs imposés par Trump sur l’acier, l’aluminium, les semi-conducteurs, les véhicules électriques et les batteries. Qui peut souhaiter un meilleur soutien ! Trump a également suggéré de remplacer, ou du moins de réduire, l’impôt sur le revenu en le substituant par des droits de douanes – une proposition impossible à mettre en œuvre, mais dont l’attrait populiste est bien réel. Il a menacé d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 20 % sur tous les produits européens, mais en réalité, Trump privilégie les cibles symboliques touchant à la fierté nationale. Le vin et le fromage français, ainsi que les voitures allemandes, sont à ses yeux des cibles idéales. La trêve tarifaire entre l’Union européenne et l’administration Biden prend fin en mars 2025, tandis que la « paix blanche » entre Airbus et Boeing est fixée pour 2026. Ces deux échéances clés prépareront sans aucun doute le terrain pour le reste du mandat de Trump.
Ukraine
Il y a quelques jours, le fils de Trump a publié sur ses réseaux sociaux une vidéo satirique avertissant Zelensky que son ‘allocation allait bientôt prendre fin’ — provoquant la panique en Europe. La cessation totale de l’aide à l’Ukraine, si elle devait se concrétiser, compromettrait gravement les perspectives de la nation envahie. Elle permettrait également à Trump de tenir sa promesse de mettre fin au conflit en ’24 heures’. Bien que ce scénario soit possible, il reste difficile à imaginer. Il est important de rappeler que Trump a été le premier président à vendre des missiles Javelin aux Ukrainiens durant son premier mandat, brisant ainsi un tabou de l’administration Obama. De plus, Vladimir Poutine n’a envahi aucun de ses voisins durant la présidence de Trump : la Géorgie et la Crimée ont été envahies sous Obama, tandis que l’Ukraine l’a été sous Biden. Pendant que Trump était à la Maison Blanche, pas un pouce de territoire supplémentaire n’a été pris par les Russes. Ce constat est peut-être anecdotique, mais il reste intéressant. La politique étrangère de Trump repose avant tout sur la force. Sa position face aux Russes pourrait tout aussi bien être ferme et intransigeante si ceux-ci se montrent belliqueux — voilà toute son imprévisibilité. Il est fort probable que la guerre finisse selon la prédiction de JD Vance : en exerçant une pression sur Zelensky pour accepter un échange de territoires contre la paix, tout en sondant Poutine pour s’assurer que cet accord lui convienne. Quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, elle restera, bien entendu, la question centrale. Sur ce point, peut-être plus que sur tout autre, l’imprévisibilité de Trump est absolue.
Énergie et climat
Une phrase résume parfaitement la position de Donald Trump sur l’énergie : « Drill, baby, drill » — un message limpide. L’un de ses objectifs de longue date est en effet de stimuler l’extraction de pétrole et de gaz. Trump a promis de lever les restrictions sur les nouveaux permis de gaz naturel liquéfié (GNL) et d’inciter les Européens à acheter de l’énergie américaine plutôt que russe, ce qui représenterait également un levier de dissuasion face à Poutine, si celui-ci devenait capricieux dans les négociations sur l’Ukraine. Il est fort probable que Trump retire de nouveau les États-Unis des accords de Paris sur le climat et mette fin à la coopération naissante sur la réduction des plastiques, initiée sous Biden. Dire que le climat ne figurera pas parmi les priorités de son administration serait un euphémisme.
Sécurité
Il est peu probable que Donald Trump retire les États-Unis de l’OTAN, malgré ses nombreuses menaces. En effet, le leadership américain au sein de l’alliance reste avant tout un moyen d’exercer une influence sur l’Europe — d’un point de vue purement réaliste, un retrait irait à l’encontre des intérêts américains. Cependant, Trump poursuit avec véhémence son objectif de pousser les autres membres à augmenter leurs dépenses militaires, ayant réussi à influencer le discours politique sur cette question. Désormais, même certains démocrates admettent que son exigence est justifiée. Les menaces de retrait de l’OTAN sont donc probablement une tactique de négociation, bien qu’il reste capable de (presque) tout.
Plus fondamentalement, Trump a porté un coup sérieux à la crédibilité dissuasive de l’article 5. La réalité est que les Américains, qu’ils soient de gauche ou de droite, sont las des engagements militaires coûteux. Le retrait désastreux d’Afghanistan et l’effondrement du régime en place y ont laissé un goût amer qui pourrait perdurer des années. Comme l’a exprimé l’ancien ambassadeur Gérard Araud : Trump enverra-t-il des Américains mourir pour défendre la souveraineté de l’Estonie ? On peut raisonnablement en douter.
Conclusion
En s’éloignant de nos côtes, le grand frère américain laisse derrière lui un vide de pouvoir qui pourrait, à long terme, offrir l’espace nécessaire à une résurgence européenne. La France, par sa taille, son économie, ses ressources, sa dissuasion militaire et nucléaire, et sa vision stratégique longtemps défendue — et aujourd’hui pleinement justifiée — d’une autonomie stratégique, est idéalement placée pour reprendre son rôle historique de puissance dominante de l’Europe.
Certes, la France se trouve aujourd’hui dans une position délicate pour assumer le leadership que ce rôle exige. Mais il n’est pas nécessaire de remonter bien loin pour retrouver des périodes où des défis écrasants ont forgé en elle une volonté accrue d’autonomie et d’indépendance. En 1945, la France, à peine libérée, se tenait au bord du désastre. Ruinée, ses infrastructures en lambeaux, son humanité meurtrie, sa classe politique déchirée, elle faisait face à la menace communiste et à une Amérique triomphante, prête à imposer sa domination. Mais sur ce chemin, il y avait le général de Gaulle, inébranlable dans sa quête d’indépendance pour la France.
Aujourd’hui, malgré ses défis, la France est dans une position infiniment plus favorable qu’au milieu du siècle dernier. Qu’est-ce qui la retient alors d’embrasser ce rôle, ou du moins de tracer les voies pour un jour y parvenir ? Rien d’autre qu’une vision et une ambition. Avec elles, l’échec est impossible. Sans elles, le succès l’est aussi.
Louis Sarkozy, Chroniqueur 21 News
(Photo Belgaimage)