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Règles vestimentaires, insécurité, radicalisme : le quotidien d’une ancienne élève de l’athénée Serge Creuz (Molenbeek)

par Contribution Externe

Le débat sur le prosélytisme religieux dans nos écoles a été lancé par la publication du livre « Allah n’a rien à faire dans ma classe », puis par une conférence très suivie organisée par le Centre Jean Gol. Voici le témoignage de Mélissa Amirkhizy. Conseillère communale MR à Ganshoren, a suivi sa scolarité à l’athénée Serge Creuz de Molenbeek (aujourd’hui Sippelberg). Elle explique les pressions qu’elle a subies. Et s’inquiète pour ses propres enfants. Carte blanche.

Quand je suis arrivée en Belgique avec mon frère, je pensais qu’on allait enfin avoir une vie normale, une vie meilleure. J’avais 13 ans, il en avait 12. Mais cette école de Molenbeek, l’athénée Serge Creuz, où nous avons été inscrits, est devenue l’une des pires expériences de ma vie.

Nous étions six adolescents iraniens, âgés de 12 à 15 ans. Très vite, nous avons compris qu’on n’avait pas notre place là-bas. Tout, dans cet environnement, nous rappelait que nous étions différents. Notre professeur de mathématiques nous parlait exclusivement en arabe, une langue que nous ne comprenions pas. Quand on essayait de lui expliquer, il nous mettait dehors, comme si c’était notre faute.

Les pressions religieuses étaient constantes. On nous imposait de participer aux fêtes islamiques. Je me souviens de ces femmes voilées qui venaient nous servir du couscous, surveillant que tout le monde mangeait, et elles nous expliquaient leurs pratiques religieuses.

« Surtout, ne dites jamais que vous n’êtes pas musulmans »

On nous demandait toujours d’où nous venions. Dès qu’on répondait « Iran », c’était la même réaction : « Alhamdoulilah, vous êtes musulmans ! Ici, on n’aime pas les non-musulmans. » Par peur, nous faisions semblant, évitant de dire que nous ne pratiquions pas. Un garçon iranien, arrivé avant nous, nous avait prévenus : « Surtout, ne dites jamais que vous n’êtes pas musulmans. »

Et il avait raison. Un jour, je suis allée à l’école en jupe. Des garçons m’ont arrêtée dans le couloir : « Une fille musulmane ne s’habille pas comme ça. Tu es vulgaire. » Ces mots restent gravés dans ma mémoire. Un mélange d’humiliation et d’impuissance.

Je me sentais insultée, jugée, dans un endroit qui était censé être un lieu d’apprentissage et de liberté.

Les vendredis, l’école était quasi déserte. Quand on a demandé pourquoi, on nous a répondu que, le matin, les élèves allaient « aider leur famille » sur le marché, et l’après-midi, ils allaient prier à la mosquée. C’était comme si, ce jour-là, l’éducation passait après les traditions.

Une fille ne joue pas avec les garçons

Il y avait aussi des absurdités dans les cours. On n’avait pas de cours de sport, les garçons jouaient au foot tandis que les filles, elles, restaient assises sur les bancs, discutant entre elles. Moi, j’adorais le foot et je voulais y participer, mais c’était impossible. Tout le monde trouvait « bizarre » qu’une fille ose jouer avec les garçons. Je me sentais enfermée dans des rôles que je ne comprenais pas.

Lors du cours de religion, qu’on soit croyant ou athée, tout le monde participait, par peur d’être harcelé au cours de religion islamique. Il y avait une seule élève belge à l’école, et elle assistait également à ce cours avec nous.

Heureusement, il y avait une prof de néerlandais/anglais qui était stricte mais gentille. Elle disait toujours en entrant en classe : « Hop hop, let’s go Bingo ! » pour mettre de l’énergie. Elle essayait d’apporter un peu de joie et de la discipline, mais elle n’était pas épargnée par les critiques. Certains garçons lui disaient directement qu’elle était une « sale Flappy » parce qu’elle était flamande, et répétaient : « On ne peut pas t’apprécier , car tu n’es pas musulmane ». Malgré tout, elle restait ferme, et j’admirais son courage.

Des combats entre dealers au sein de l’école

Mais au-delà des problèmes religieux et culturels, il y avait une réelle insécurité dans l’école. Presque tous les jours, il y avait une violente bagarre à coups de couteau entre élèves. Plus tard, nous avons compris que cela concernait un règlement de comptes ou des problèmes de drogue ou de vols de GSM. Les deux principaux dealers du quartier étaient élèves dans notre école. Ces bagarres se déroulaient sous nos yeux, et nous vivions dans une peur constante.

Je n’oublierai jamais ce jour dans le métro, en revenant de l’école. Je parlais avec Mohammed, un camarade de 17 ans de mon école. Nous sommes sortis à la station Simonis et avons continué à discuter à l’arrêt de bus 87. Quand il est parti, des policiers m’ont arrêtée et m’ont demandé : « Vous avez de la drogue ? » J’étais choquée. Je leur ai expliqué que j’avais 13 ans, que je n’avais pas de drogue. C’est alors qu’ils m’ont dit que Mohammed était un dealer connu dans le quartier.

Un jour, ce cauchemar a pris une nouvelle dimension. Un garçon extrémiste à l’école m’avait souvent dit que je devais porter le voile comme la majorité des filles de l’école : « Les mecs te regardent mal ». Mais il est allé encore plus loin. Il est allé trouver mon père pour lui expliquer que, si je n’étais pas “contrôlée”, je risquais de “mal tourner”. Il a même proposé de “s’occuper de moi” à l’école à sa place.

Après cet incident, mon père a voulu tout savoir. Avec mon frère, nous lui avons expliqué ce que l’on vivait : les bagarres à coups de couteau, les dealers et la pression religieuse islamique à l’école.

« Je rêvais de liberté, mais je me suis retrouvée enfermée »

Tout cela me semblait irréel. Je venais d’un pays où je rêvais de liberté, mais je me suis retrouvée enfermée dans un environnement où je devais mentir sur qui j’étais, cacher ma foi, m’excuser de ma culture. 

Mais aujourd’hui, ce passé me rattrape. Mon fils de sept ans est dans une autre école, bien différente, et pourtant… Il rentre parfois avec des phrases qui me glaçent le sang : « Maman, tu vas aller en enfer parce que tu ne portes pas de foulard. » Ou : « Maman, on est sales parce que tu me fais manger des repas chauds à l’école, et ce n’est pas halal. » Le pire reste cette phrase : « Si tu es avec Israël, on te tue ». Ou encore, quand j’entends certaines institutrices qui me disent : « Madame Amirkhizy, certains enfants nous disent qu’ils ne nous aiment pas parce qu’on n’est pas musulmans. » 

Mon fils est si petit, si innocent. À son âge, il devrait jouer, apprendre, découvrir le monde avec curiosité et joie. Au lieu de cela, il entend des choses qui n’ont rien à faire dans la tête d’un enfant. Cela me fait peur, vraiment peur. 

Mais tout cela montre qu’il existe encore des endroits, des milieux, où l’intolérance se propage et touche même les plus jeunes. Quand je pense à ce que j’ai vécu à Molenbeek, et à ce que mon fils commence à entendre aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour l’avenir de nos écoles .

Personne ne devrait vivre cela. Aucun enfant ne devrait avoir peur à l’école, se sentir jugé ou contraint d’être ce qu’il n’est pas. Aucun professeur ne devrait être rejeté ou discrédité à cause de ce qu’il est, de ses croyances ou de son origine. Aucun parent ne devrait redouter que son enfant ramène de la haine dans son cœur.

Ce n’est pas ça l’école. Ce n’est pas ça la vie que nos enfants méritent.

Mélissa Amirkhizy, conseillère communale MR à Ganshoren (les intertitres sont de la rédaction)

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