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Retailleau : une « droite utile »

par Louis Sarkozy
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Celui qui a été renommé ministre de l’Intérieur est désormais incontournable. Il a remporté son bras de fer avec François Bayrou et obtenu les garanties nécessaires pour conserver sa place au gouvernement. Il s’impose comme le seul véritable gagnant de la pitoyable séquence politique que la France vient de traverser. En l’espace de quatre mois, Bruno Retailleau est passé du statut d’inconnu relatif à celui de futur champion plausible de la droite. Une chronique de Louis Sarkozy.

« Je crois que [l’immigration] est une menace parce que… une société multiculturelle est une société multi conflictuelle. Moi, je suis pour l’assimilation plutôt que l’intégration. » – Extrait de l’émission « L’hebdo » du 22 février 1997.

Peu de gens oseraient tenir de tels propos aujourd’hui. Les affirmer en 1997 relevait d’un vrai courage et d’une grande clairvoyance. Mais les prononcer sans appartenir à l’orbite gravitationnelle de Jean-Marie Le Pen ou de sa fille fait de Bruno Retailleau un homme unique. Il incarne une rareté dans la politique française : un homme opposé à la fois à l’immigration et au Front/Rassemblement National, et ce depuis toujours.

C’est à l’âge de 16 ans qu’il est remarqué par Philippe de Villiers, qui le choisit comme cavalier pour l’un des spectacles du Puy du Fou. Par la suite, il gravira les échelons, allant jusqu’à diriger la mise en scène du spectacle et prendre en charge la gestion de la radio locale. Le rapprochement entre les deux hommes dépassera rapidement leur passion commune pour l’histoire et leur attachement à leur Vendée natale. En 1988, il devient conseiller général sous l’étiquette du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers et est élu député à l’Assemblée nationale à 33 ans. Pendant plusieurs années, il évoluera dans l’ombre protectrice de l’omnipotent de Villiers, qui règne alors en maître absolu sur leur département et promet une grande carrière politique. De 1998 à 2004, il est vice-président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, où il se rapproche de François Fillon. Cette deuxième relation marquera la fin de la première. Lorsque François Fillon lui propose de devenir secrétaire d’État à l’Économie numérique dans son gouvernement, De Villiers s’y oppose. Le dauphin décide alors de quitter le parti du Roy pour rejoindre l’UMP. En tant que sénateur, il finira par diriger son parti à la Chambre haute, restant relativement méconnu du grand public jusqu’à ce que Michel Barnier vienne le solliciter.

À bien des égards, Bruno Retailleau est un reflet du passé. C’est un homme de la campagne à une époque où Paris domine. En cela, il reflète parfaitement son pays, la Vendée. Cette région unique qui est également une terre d’origine pour de nombreuses figures emblématiques. Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny incarnent cette Vendée qui transcende les clivages traditionnels entre gauche et droite. On est Vendéen d’abord. C’est le genre de région et c’est le genre d’hommes qui nous rappellent que la France, c’est avant tout une question d’équilibre – à la fois patriotique et solidaire mais individualiste ; c’est une région fière d’elle-même comme peut-être aucune autre, et pourtant une région qui a répondu présent à chaque fois qu’il fallait mourir pour la France.

Calme et discret, Bruno Retailleau laisse ses principes s’exprimer à sa place. Catholique pratiquant, il a su conserver sa foi sans l’exhiber dans une sphère politique de plus en plus hostile au christianisme. En 2018, il s’est rendu en Irak et au Liban pour défendre les chrétiens d’Orient, une mission qu’il décrit comme étant « inscrite dans l’histoire de France depuis Saint Louis et François Ier ». On reconnaît l’héritage du Puy du Fou. De même, alors que le monde agricole a progressivement perdu de son importance démographique, économique et politique, il continue de s’occuper de ses terres et de ses animaux, « des moutons, des oies, des chiens, des chevaux et des vaches. » Pourtant, l’homme a aussi une étonnante modernité. Lorsque je l’ai rencontré il y a quelques mois, il m’a offert un livre sur l’intelligence artificielle, auquel il avait contribué un chapitre.

Au cours de ses trois premiers mois en tant que ministre, il s’est imposé. Quarante-huit heures seulement après sa prise de fonction, il a juré d’utiliser « tous les moyens pour réduire l’immigration ». Rétablissement du délit de séjour irrégulier, réforme de l’aide médicale d’État, nouvelle loi sur l’immigration : le ministre s’élève à la hauteur des enjeux et incarne pleinement son rôle. Les Français redécouvrent un homme déterminé, cohérent et, surtout, perçu comme honnête. Il incarne une droite qui semblait avoir disparu : assumée, avec une approche régalienne forte et sans complexe. S’il poursuit sur cette voie, il pourrait récolter tous les bénéfices électoraux d’une position ferme sur ces sujets, sans porter le fardeau d’une affiliation au Rassemblement National. En somme, il représente une potentielle kryptonite pour le parti de Marine Le Pen, qui perçoit déjà cette menace. Rappelons qu’à l’ère de Nicolas Sarkozy, le Front National récolte uniquement 12% des voix. Son ascension met en lumière une vérité politique fondamentale : le véritable adversaire électoral du Rassemblement National n’est pas la gauche, mais une droite républicaine forte. Plus la France Insoumise gagnera en visibilité, plus les chances de Marine Le Pen d’accéder à l’Élysée augmenteront. En revanche, plus Bruno Retailleau occupera l’espace politique, plus ces chances s’amenuiseront. Attendez-vous donc à ce que la rhétorique de Marine Le Pen à son égard se durcisse dans les mois à venir.

Sa popularité a grimpé en flèche, faisant de lui une figure incontournable de la droite. Selon un sondage du Figaro Magazine sur la personnalité de droite la plus prometteuse au sein du gouvernement, il est passé de la dernière à la première place, devançant Sébastien Lecornu et Rachida Dati. Aujourd’hui, il est le sixième homme politique le plus apprécié des Français. Lors de la chute du gouvernement Barnier, il s’est illustré par une série de succès : la gestion efficace de la crise à Mayotte, l’accueil du pape en Corse et une rencontre stratégique avec François Bayrou en tant que ministre. La continuité de l’État. Ces accomplissements ont convaincu le nouveau Premier ministre de son indispensable contribution, au point de le reconduire au poste de ministre de l’Intérieur.

Jusqu’à présent, Laurent Wauquiez semblait être le choix naturel pour porter la candidature des Républicains. Cette évidence est désormais remise en question. S’il nourrit des ambitions présidentielles, il devra d’abord, et sans aucun doute, s’assurer de conquérir son propre parti. S’il y parvient, Bruno Retailleau se trouve dans une position singulièrement avantageuse : Il est fermement ancré à droite sur toutes les questions essentielles pour les Français, sans être affilié au Rassemblement National. Ayant participé à deux (voire davantage) gouvernements macronistes, il n’est pas en opposition frontale avec le bloc central et pourrait être perçu comme un successeur crédible si ce dernier venait à s’effondrer. Ses nouveaux ennemis sont aussi des adversaires cruciaux – pour réussir, il faut être haï par La France Insoumise. Il est honnête et cohérent, à une époque où la classe politique est perçue comme étant dépourvue de ces deux qualités.

La question qui demeure est, en réalité, la plus cruciale : cet homme unanimement perçu comme calme et dépourvu d’ambition saura-t-il se métamorphoser en conquérant ? Car c’est de conquêtes dont nous parlons – d’abord du parti et ensuite du pays. Compter sur un alignement fortuit des événements serait une grave erreur : les choses ne se mettent presque jamais en place d’elles-mêmes. Il faut aller les prendre. De Gaulle a attendu douze ans le son du clairon, malgré un passé qui figurait parmi les plus glorieux de notre histoire. Nous nous souvenons du premier discours de Winston Churchill au peuple britannique, en mai 1940, en tant que Premier ministre : « Conquer we must. Conquer we shall. »

Louis Sarkozy, chroniqueur 21 News

(Photo Belgaimage : Bruno Retailleau et François Bayrou)

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