Pendant que les négociations en vue de former un gouvernement fédéral patinent, l’urgence commence à se faire sentir pour le secteur des soins de santé. Quels sont les principaux enjeux ? Une carte blanche du Dr Yannis Bakhouche, médecin et conseiller santé au MR, conseiller communal à Saint Gilles.
« Il y aura un budget pour la santé en 2025 », a déclaré Alexander De Croo, qui a dû répondre aux questions des parlementaires à la rue de la Loi. Re-situons la chose : le budget doit être négocié par le nouveau gouvernement fédéral, avec de nouvelles politiques et des sujets épineux en discussion. La cause du blocage ? La norme de croissance à définir et le rôle des mutuelles en discussion entre le formateur Bart De Wever et les présidents des partis de la future majorité. Si le gouvernement en affaires courantes, toujours en place, avait validé le budget, la norme de croissance aurait été systématiquement reconduite avec les indexations annoncées, mais aussi des dépassements budgétaires annoncés, réduisant de manière certaine les leviers d’action du nouveau gouvernement pour le budget 2025. Mais que devons-nous faire, en attendant la mise en place du nouveau gouvernement et sans coincer dans l’impasse le secteur médical ?
Une lettre récente a été envoyée aux politiques, rassemblant l’ensemble des acteurs. Parmi eux : Gibbis, Synthea, l’Absym, Solidaris et d’autres structures. De cette lettre, citons le passage suivant : « Sans l’approbation d’un budget, il se peut qu’il n’y ait pas d’indexation ni de norme de croissance d’ici 2025, deux éléments essentiels pour la santé financière des différents prestataires de soins de santé et des établissements. Sans cette croissance nécessaire et sans ajustement des budgets, ceux-ci risquent de ne plus être en mesure de couvrir leurs dépenses. Nous redoutons que cela conduise à une vague de déconventionnements dans de nombreux secteurs. Cela serait désastreux pour les patients qui risquent d’avoir à en supporter les conséquences financières. Et ce sont ces citoyens auxquels vous devez donner la priorité, en tant que Premier ministre du gouvernement en affaire courante. »
Fixer une norme de croissance, tout en gardant la maîtrise
L’enjeu principal est la détermination et la fixation de la norme de croissance, mais aussi la manière de faire face à de nouveaux investissements en matière d’innovation – et notamment en matière de prévention. La Belgique a un taux d’investissement de budget en prévention de 1,6 %, ce qui est trop faible par rapport à la moyenne européenne à hauteur de 5 %. Le taux de dépistage de certains cancers, comme celui du sein, varie entre les régions en raison de l’absence de politique de prévention, et nous diagnostiquons chaque année 78 000 patients cancéreux. De même, nous savons tous que l’effet rapporté par l’investissement en prévention ne pourra avoir lieu que d’ici une dizaine d’années.
L’heure, comme vous le comprenez, est plutôt à la maîtrise des dépenses des soins de santé. La question que nous devrions nous poser est donc : accepterions-nous, en tant que prestataire de soins et même patient, de faire l’impasse sur de nouvelles politiques de santé (et donc de faire des économies) en ayant conscience de la fragilité budgétaire du pays ?
Une système de soins de santé inefficace
Si notre système de santé est reconnu pour sa qualité et son accessibilité, il n’en reste pas moins inefficace. Selon le rapport du FMI, si le système de soins de santé en Belgique était aussi efficace que la moyenne de l’UE ou de l’OCDE, nous pourrions obtenir les mêmes résultats en termes de qualité pour 20 % à 30 % moins cher. Nous devons insister davantage sur l’amélioration de l’efficacité du secteur des soins de santé et c’est bien une urgence. Alors oui, il faudra consentir à un effort sur la norme de croissance, comme l’avait fait d’ailleurs le gouvernement Vivaldi en fixant la norme à 2 % en 2024, et la question devra se poser impérativement tout en tenant compte du nombre croissant des malades chroniques, du vieillissement de la population et de la consommation parfois excessive des médicaments. Nous devons apporter suffisamment de sécurité pour le patient et les prestataires de santé tout en leur apportant des garanties financières stables, mais aussi en prenant des mesures fortes concernant l’avenir du pays et en apportant des réformes nécessaires.
Ne pas avoir le courage politique de trancher sur la question de la norme de croissance peut entraîner sur le court terme des conséquences. Selon certains syndicats, cela pourrait mettre en danger la stabilité des soins et créer une grande incertitude pour les patients et les prestataires. Il pourrait même y avoir un risque de coûts supplémentaires transférés aux patients, avec un risque de déconvention massive et de hausse des suppléments d’honoraires. Tout en sachant que les dépenses en santé individuelles oscillent déjà entre 18 % et 20 % en Belgique, également appelées les « out-of-pocket payments » ou « OOP ».
Début septembre, l’INAMI a publié ses estimations techniques pour les dépenses prévisionnelles de 2024 et 2025. Selon ces prévisions, le dépassement du budget normatif de 2024 est estimé à 153,768 millions d’euros. Pour 2025, le dépassement attendu atteint 216,800 millions d’euros, prenant en compte des corrections sur les montants réservés (30,418 millions) et la sous-utilisation (114,401 millions). Un effort a dû être consenti entre les différents secteurs comme le secteur pharmaceutique, les soins dentaires, les honoraires médicaux et même sur la suppression des consultations téléphoniques (un non-sens d’ailleurs).
« Ne pas avoir le courage politique de trancher sur la question de la norme de croissance peut entraîner sur le court terme des conséquences. »
Certains diront que le budget INAMI, qui pèse presque 44 milliards d’euros, est devenu tellement une boîte noire que peu de personnes y voient clair. À mon sens, l’accord social doit être conservé, tout comme la norme de croissance qui permet de tracer un cadre budgétaire. Pour respecter la trajectoire budgétaire, c’est au gouvernement qu’il faut donner les balises pour définir un budget global et donc avoir une enveloppe fermée en tenant compte des demandes de chaque secteur médical, mais aussi de la réalité budgétaire du pays. En 2021, 11 % du produit intérieur brut (PIB) de la Belgique ont été consacrés aux soins de santé. Nous avons une tendance positive aux dépenses de soins de santé en Belgique par rapport à nos plus grands pays voisins. C’est une nécessité de prendre une responsabilité politique sur la question de la norme de croissance, en contrecarrant les demandes excessives ou parfois ubuesques de certains partis politiques d’exiger une norme à 4 %.
Avec l’allongement de l’espérance de vie et l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques, le système de santé doit faire face à de nombreux défis. En tenant compte du contexte budgétaire, il faut à la fois améliorer l’efficacité du système de santé en Belgique, mais aussi assurer la couverture des besoins réels de la population tout en dégageant des moyens pour soutenir l’innovation médicale en faveur des patients. De ce fait, un compromis du maintien de la norme de croissance à 2,5 % me paraît logique en affaires courantes et en y intégrant des mesures d’efficacité urgentes telles que la simplification des procédures administratives des patients et des prestataires de soins, la non-redondance des examens, mais aussi la réforme des financements et des mutuelles et en réévaluant la mesure dans le cadre du budget 2026 avec le nouveau gouvernement.
Pour ne pas arriver à une rupture de confiance entre le personnel soignant et le politique, oui, il y a bien urgence pour prendre un compromis à la belge, pour le bien commun de tous et surtout pour la soutenabilité de notre système actuel.
Dr Yannis Bakhouche (le titre et les intertitres sont de la rédaction)
(Photo Belgaimage)