Demain, Bart De Wever prêtera serment. La page de la Vivaldi est bel et bien tournée. Sa durée est à souligner : avec 1.586 jours au pouvoir, Alexander De Croo et son équipe figurent parmi les exécutifs les plus « durables » depuis la naissance de la Belgique. Une analyse de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.
Sur 109 gouvernements nationaux, puis fédéraux, depuis l’indépendance de la Belgique en 1830 (110 si l’on inclut le gouvernement provisoire du 24 septembre 1830 au 25 février 1831), le gouvernement « Vivaldi » d’Alexander De Croo, qui cède la place au gouvernement De Wever aura été le huitième gouvernement le plus long de l’histoire de Belgique. Il aura duré 1.586 jours (4 ans, 4 mois et 2 jours).
Quoi qu’on en dise, cette longévité est à mettre à son crédit, même s’il a été en « affaires courantes » depuis la mi-2024, à la suite de la dissolution des Chambres, des élections législatives et de la démission du Premier ministre.
La Vivaldi, une stabilité remarquable
C’est le plus long gouvernement depuis la coalition « violette » libérale-socialiste de Guy Verhofstadt, aux manettes du 12 juillet 2003 au 20 décembre 2007 (1.623 jours). Avant cela, le dernier gouvernement à avoir fait mieux fut le gouvernement de Broqueville I, du 17 juin 1911 au 17 janvier 1916 (1.676 jours)[1]. Le gouvernement De Croo aura donc été le deuxième gouvernement belge le plus stable en plus de cent ans. Une véritable performance, même s’il convient de préciser qu’en 2014, la durée de la législature fédérale (jadis nationale) a été portée à 5 ans, alors qu’elle était de 4 ans (sauf dissolution anticipée) depuis 1921.
Tous les autres gouvernements belges les plus longs remontent au XIXe siècle :
- le gouvernement Rogier II (ou Frère-Orban), du 9 novembre 1857 au 2 janvier 1868 (3.707 jours), « Grand Ministère libéral », le plus long de l’histoire de Belgique ;
- le gouvernement Beernaert, du 26 octobre 1884 au 25 mars 1894 (3.438 jours),_ « Grand Ministère catholique »_ ;
- le gouvernement catholique de Smet de Naeyer II, du 5 août 1899 au 1er mai 1907 (2.826 jours) ;
- le gouvernement catholique Malou I (ou de Theux de Meylandt III/Malou I, ou de Theux de Meylandt III), du 7 décembre 1871 au 18 juin 1878 (2.386 jours) ;
- le gouvernement libéral Frère-Orban II, du 19 juin 1878 au 15 juin 1884 (2.189 jours).
La durée du gouvernement De Croo est d’autant plus remarquable, que l’on ne peut naturellement pas comparer la longévité de certains gouvernements du XIXe siècle avec celle des gouvernements des XXe et XXIe siècles. En effet, au XIXe siècle, sauf dissolution anticipée, le renouvellement des sièges à la Chambre des Représentants et au Sénat était partiel, avec une durée de mandature de 4 ans pour les députés et de 8 ans pour les sénateurs. Par ailleurs, jusqu’en 1893, le mode de scrutin électoral était censitaire, capacitaire et majoritaire, à un ou deux tours. Par la suite, de 1893 à 1899, il est devenu majoritaire, mais universel et plural (certains hommes disposant d’un ou de deux votes supplémentaires).
Ce n’est qu’en 1919 que le suffrage universel pur et simple et proportionnel (quasi exclusivement masculin) a été instauré. Enfin, l’offre politique était plus réduite, se limitant à deux tendances politiques, libérale et catholique, jusqu’à la création du Parti ouvrier belge (P.O.B., ancêtre du parti socialiste), en 1885. Ce dernier, en raison du mode de scrutin, n’accédera au pouvoir par la voie des urnes qu’après les élections législatives du 16 novembre 1919, bien qu’il ait participé à trois gouvernements d’« union nationale » auparavant. Tous ces facteurs favorisaient, au XIXe siècle, la formation de gouvernements stables et de longue durée, les gouvernements susmentionnés étant tous « homogènes », c’est-à-dire constitués d’un seul parti (libéral ou catholique) disposant de la majorité absolue au Parlement.
Notons que la durée de vie moyenne des gouvernements belges tend à s’accroitre au XXIe siècle par rapport au XXe siècle. Les records demeurent toutefois détenus, à ce jour, par les gouvernements du XIXe siècle pour les raisons évoquées ci-dessus. On peut citer, notamment, le gouvernement Verhofstadt II (déjà mentionné), du 12 juillet 2003 au 20 décembre 2007 (1.623 jours), mais aussi le gouvernement Michel I, la coalition « suédoise » (libérale, démocrate-chrétienne flamande, N-VA), du 11 octobre 2014 au 8 décembre 2018 (1.520 jours), onzième gouvernement le plus long, ou encore le gouvernement Verhofstadt I, la coalition « arc-en-ciel », (libéral, socialiste, écologiste), du 12 juillet 1999 au 11 juillet 2003 (1.461 jours), treizième gouvernement le plus stable de l’histoire de notre pays.
Et cette tendance pourrait même s’amplifier avec le gouvernement « Arizona » de Bart De Wever, potentiellement en place jusqu’en 2029.
[1] À partir de 1914, il est surnommé « Gouvernement du Havre », le gouvernement belge s’étant installé, en octobre 1914, derrière le front, à Sainte-Adresse, près de la ville française du Havre, à la suite de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, le 4 août 1914 (Première Guerre mondiale).
Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant
(Photo Belga Dirk Waem / Premier conseil des ministres de la Vivaldi, 1er octobre 2020)