Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, propose l’enseignement obligatoire du néerlandais pour les petits francophones. En soi, une excellente idée, mais qui mérite d’être largement contextualisée. Car il ne faut pas non plus négliger l’anglais… Analyse.
En 1936, Camille Huysmans, alors président de la Chambre et socialiste flamand, proposa de transformer la Belgique en un État unitaire bilingue. Comme au Canada, l’administration aurait dû répondre dans les deux langues, quel que soit l’endroit où se trouvait l’administré. Imaginez ce que cela aurait pu donner : chaque Belge, qu’il soit Flamand, Wallon ou Bruxellois, aurait été bilingue. Un véritable ciment pour la Belgique. Mais les élites francophones de l’époque ont refusé… On ne refait pas l’histoire.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), le néerlandais est obligatoire à Bruxelles, mais pas forcément en Wallonie. Un Liégeois peut parfaitement maîtriser l’anglais ou même l’allemand, mais ne pas connaître le néerlandais. Certains ministres successifs, peu inspirés il faut bien le dire, ont introduit une approche à la carte, permettant aux élèves de choisir entre l’anglais et le néerlandais. Résultat : de jeunes Wallons peuvent grandir sans aucune notion de la langue de Vondel ! A peine 24% d’ailleurs choisissent le néerlandais comme deuxième langue, 2% l’allemand et 74% l’anglais.
Pendant des décennies, les Flamands – du moins leur élite – ont consenti des efforts significatifs pour apprendre le français. Sont-ils plus doués comme les francophones le prétendent ou simplement plus assidus, moins paresseux ? Historiquement, il faut rappeler que de nombreux Flamands éduqués, comme Herman De Croo, ont étudié en français. En outre, apprendre le français donne accès à une immense culture, en plus d’être la cinquième langue la plus parlée au monde. Malgré plus de 25 millions de locuteurs néerlandophones dans le monde (en comptant l’Afrikaans) et une culture vivace, l’inverse n’est pas vrai.
Or, le contraste est frappant : l’élite flamande – politiciens, intellectuels, écrivains, journalistes et même sportifs – est souvent capable de répondre en français dans des interviews, alors que l’inverse est rare.
La première langue du pays n’est plus le français depuis bien longtemps. N’est-ce pas un devoir d’apprendre la langue nationale la plus parlée ? Je le pense.
Une proposition pas si neuve
Venons-en donc à la proposition de Georges-Louis Bouchez de rendre obligatoire l’apprentissage du néerlandais pour tous les francophones. Cette idée, bien que pertinente, n’est pas neuve. L’ancienne ministre de l’Enseignement Caroline Désir (PS) voulait rendre le néerlandais obligatoire en 2027. Ironiquement, le président du MR lui-même est encore limité en néerlandais. Malgré sa popularité en Flandre, il ne peut pas réellement défendre ses idées dans les médias flamands. Bart De Wever, président de la N-VA, ne manque pas de le lui reprocher. Rappelons qu’Elio Di Rupo, ancien Premier ministre socialiste, se trouvait dans une situation similaire, articulant quelques phrases en néerlandais, prétextant finalement un problème physiologique…
Christophe Deborsu, parmi les rares journalistes francophones bilingues, a raison de dire que « la maîtrise du néerlandais libère ». Le bilinguisme pourrait resserrer les liens entre Flamands et Wallons, démontrant un effort réel de la part des francophones. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les obstacles économiques et identitaires, notamment l’impact des transferts financiers, évalués à environ 4 euros par jour par Flamand selon l’économiste Rudy Aernoudt. Ces enjeux nourrissent les partis séparatistes, au-delà de la question linguistique.
Enseignement inefficace
En outre, si l’enseignement des langues en FWB reste aussi inefficace qu’il l’a été pour ma génération – où, malgré cinq heures hebdomadaires de néerlandais sur douze ans, il était rare d’articuler une phrase correcte à la fin des études secondaires – alors, quel intérêt ?
Pourquoi cet échec ? Parce que l’apprentissage des langues ne peut être passif comme celui de l’histoire ou de la géographie. Dans des classes de 27 à 30 élèves, apprendre une langue est illusoire. Il faudrait s’inspirer des écoles d’interprétariat, où la pratique intensive en petit comité est la clé. Certes, réduire la taille des classes pour l’enseignement des langues à, par exemple huit élèves, nécessiterait des moyens considérables, mais c’est indispensable pour former de vrais bilingues.
Alternativement, des chèques-éducation pourraient permettre aux familles d’investir dans des cours privés. Ce que fait déjà la bourgeoisie. Certains Bruxellois francophones ont trouvé une solution : inscrire leurs enfants dans l’enseignement néerlandophone. Une option idéale, mais les places y sont rares… Quant aux enfants aisés, ils étudient carrément en Angleterre, aux États-Unis ou dans l’une ou l’autre de nos écoles internationales à 25.000 euros de minerval annuel. Les enfants des fonctionnaires européens, particulièrement privilégiés, suivent une enseignement trilingue à l’École européenne…
Et l’anglais dans tout cela ?
L’anglais, langue mondiale, ne peut être négligé. Bien que sa grammaire soit accessible et son « seuil d’entrée » assez bas, atteindre un niveau élevé en compréhension et expression reste complexe. Riche, paraît-il, de quatre fois plus de mots que le français, l’anglais regorge de faux amis et de subtilités qui rendent son apprentissage difficile, même pour des locuteurs avancés. Il convient de démarrer son apprentissage (comme celui du néerlandais d’ailleurs) le plus tôt possible. Idéalement à partir de l’âge de 3 ans.
Et ne nous leurrons pas non plus : dans la pratique quotidienne, lorsque jeunes Wallons et Flamands (qui eux non plus ne parlent plus beaucoup français) se croisent, que font-ils ? Ils parlent en anglais, une langue que les Flamands une nouvelle fois maîtrisent mieux selon le dernier classement Education First (1er sur 116 pays, les Wallons 13e). Mais pour conserver toute la subtilité de la langue, certains ont tenté de lancer le « bilinguisme passif » ou « modèle de la langue d’écoute ». C’est ce qu’ont pratiqué Conner Rousseau et GL Bouchez lors d’un débat télévisé sur VTM (Het Conclaaf) : chacun parle sa langue tenant compte que l’autre la comprend.
Conclusion : la proposition de Georges-Louis Bouchez mérite d’être accompagnée d’une stratégie réaliste et ambitieuse. L’objectif pourrait être clair : tous trilingues à 18 ans pour les enfants entrant en primaire dès l’an prochain. Avec une mise en œuvre réfléchie, cet objectif est atteignable d’ici 2037, même si la Belgique devient entre-temps une Confédération.
Car comme le disait Charlemagne : « Parler une autre langue, c’est posséder une seconde âme. »
Nicolas de Pape
(Photo Belgaimage : le roi Philippe visite le projet « Tandem » le 17 mai 2018)