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Ukraine-Russie : le temps de la paix semble arriver (Opinion)

par Nicolas de Pape

Plutôt que de l’isoler et de le pousser vers des alliances contre-nature, l’Occident et l’Europe doivent engager un dialogue réaliste et pragmatique avec Vladimir Poutine à l’aune de la Pax Americana en Ukraine, sans pour autant oublier les Ukrainiens. Malgré ses dérives autoritaires, la Russie ne pourra, qu’on le veuille ou non, être contournée dans la résolution du conflit. Il faut cesser de croire que les sanctions suffiront à faire plier le Kremlin. Au contraire, elles renforcent son sentiment de siège et alimentent sa rhétorique anti-occidentale. Une opinion de Nicolas de Pape.

Dans son sous-estimé Choc des Civilisations, Samuel Huntington définit huit civilisations, dont l’Occident et la « Slavo-Russie » – cette dernière englobant, à tort a posteriori, la Russie et l’Europe de l’Est. L’universitaire estime, pour mieux l’éviter, que la prochaine guerre mondiale aura lieu entre l’une ou l’autre de ces civilisations. Dans son essai prophétique bien qu’imparfait, il prévoit l’invasion de l’Ukraine par la Russie car il pressent que cette dernière ne supportera pas d’être délestée de son berceau historique, la « Russ de Kiev ».

Car la guerre en Ukraine est bel et bien une guerre de civilisation entre Occident et Russie. Du point de vue européen, on ne comprend pas la peur que la civilisation russe peut avoir de l’Occident et de l’OTAN en particulier. L’aventure ukrainienne s’inscrit dans un de ces élans lyriques propres à nos élites européennes, souvent déconnectées des réalités géopolitiques. Ces technocrates, confortablement installés dans les couloirs feutrés des institutions européennes, semblent croire que les problèmes du monde se règlent par décret. Ils partent du principe que nos valeurs « universelles » sont partagées par tous – une arrogance qui frise le mépris envers les autres civilisations – et pensent qu’une simple injonction suffirait à domestiquer « l’ours russe ». Pourtant, la réalité est bien plus complexe.

Le choc de l’invasion

En février 2022, le choc est d’autant plus brutal : Vladimir Poutine, le satrape du Kremlin, masse ses troupes à la frontière ukrainienne. La CIA a déjà sonné l’alarme, mais peu y croient. Et pourtant… Le 24 février, Poutine lance l’invasion, rappelant sinistrement la stratégie nazie de 1940 contournant la ligne Maginot par la Belgique puisque, toute proportion gardée, il traverse le Bélarus. Kyiv résiste, mais l’Est de l’Ukraine, notamment le Donbass, devient le théâtre d’une guerre sanglante. Les accords de Minsk, censés protéger les populations russophones, se sont révélés être une mascarade, Merkel Hollande et Zelensky affirmant publiquement qu’ils étaient inapplicables. Ils renforcent la conviction de Poutine qu’il est dans son droit – un droit qu’il définit à sa manière, bien sûr. La « révolution démocratique » de Maïden a toujours été vue depuis Moscou comme un coup d’État pro-occidental.

La question demeure : pourquoi Poutine a-t-il pris un tel risque ? Croyait-il vraiment que Zelensky fuirait, laissant place à un gouvernement fantoche pro-russe ? C’est l’explication un peu rapide des commentateurs de plateau de LCI. Ou voyait-il l’Ukraine comme le berceau indispensable de la civilisation russe, un élément clé de son projet impérial ? Les Occidentaux, en poussant l’OTAN et l’UE vers l’Est, ont-ils provoqué une réaction désespérée de la part d’un Kremlin se sentant acculé? Les révélations du New York Times sur la présence de bases de la CIA en Ukraine ajoutent une couche de complexité à cette crise. Il ne fait pas de doute que l’Occident, ingénument anti-impérialiste, voulait que l’Ukraine rejoigne son pré carré…

L’Europe unie mais à quel prix ?

L’invasion de l’Ukraine stupéfie l’Europe, qui, contrairement aux crises de Budapest (1956) et Prague (1968) réagit avec une unité rare qui est à saluer : plus de 1.200 sanctions sont votées pour tenter d’asphyxier la Russie. Cartes VISA bloquées, avoirs gelés, athlètes bannis… On se félicite de cette fermeté, mais l’effet boomerang ne tarde pas. Les gazoducs Nordstream I et II sont détruits (par qui ? Mystère), plongeant l’Allemagne dans une crise énergétique sans précédent. Les factures explosent, l’industrie souffre et l’Europe paie, aujourd’hui encore, son gaz trois à cinq fois plus cher que les États-Unis ou la Chine. Ironie du sort : le GNL et le pétrole russes continuent d’arriver, simplement déguisés. Pendant ce temps, la Russie semble traverser la crise sans encombre.

Les médias occidentaux se veulent rassurants : la Russie ne peut pas gagner, l’Ukraine triomphera grâce à notre aide militaire dernier cri et parce que le bien triomphe toujours. Mais l’histoire – Napoléon, Hitler -, nous a appris que l’armée russe, bien que souvent sous-estimée, sait se montrer résiliente. Les sanctions, loin d’affaiblir Poutine, le poussent dans les bras de la Chine, de l’Iran et même de la Corée du Nord. Une alliance contre-nature pour une Russie qui, géographiquement et culturellement, appartient à l’Europe. Quelle ironie !

Un gâchis monumental

Le gâchis est monumental. Certes, Poutine porte une lourde responsabilité, mais l’erreur d’analyse de l’Europe est indéniable. Sous la direction d’Ursula von der Leyen, sous influence de ses conseillers, la Commission européenne a multiplié les sanctions inefficaces sous le regard servile du Conseil et du Parlement européens. Tandis que l’aide à l’Ukraine saigne une génération de jeunes soldats ukrainiens diplômés, un déficit démographique irréparable. Avec des amis comme ça…

Puis arrive le bulldozer Donald Trump. Lors de la réouverture de Notre-Dame, il exige la fin de cette guerre. Un mois après son investiture, il négocie avec Poutine : la Russie conservera probablement ses conquêtes, l’Ukraine ne rejoindra jamais l’OTAN. Tout ça pour ça.

Un pont entre Occident et Russie

Kyiv aurait dû rester un pont entre l’Occident et la Russie, mais l’arrogance occidentale a précipité une crise aux conséquences désastreuses. Environ 120 milliards de dollars gaspillés, une Allemagne en récession, une France en crise politique, et des classes moyennes exsangues face à une inflation galopante qui, tel le dentifrice tarde à rentrer dans le tube. Les peuples européens, désabusés, se demandent quelle sera la prochaine erreur de l’Union européenne.

Plutôt que persévérer dans l’erreur, l’Europe, désormais sans défense, doit profiter de la paix que s’apprête à signer Donald Trump pour renouer avec la Russie. La solution passe par une réconciliation stratégique. L’Europe doit reconnaître les intérêts légitimes de la Russie tout en défendant ses propres valeurs. Cela implique de repenser l’élargissement sans limite de l’OTAN, de garantir une sécurité mutuelle, et de proposer à la Russie une place dans l’ordre international – à condition qu’elle respecte les règles du jeu. En particulier, extirper la Russie de son alliance avec l’Iran permettra d’appuyer une paix durable au Proche-Orient. Sans cela, nous risquons de voir Poutine continuer à s’enfoncer dans l’isolement, approfondir des alliances avec les pires régimes sur Terre comme la Corée du Nord avec des conséquences désastreuses pour la paix en Europe et dans le monde. « Sans dialogue, il n’y a que l’escalade » (Henri Kissinger).

Nicolas de Pape

(Photo Amaury Cornu / Hans Lucas : Baiser entre le président russe Vladimir Poutine et le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Photomontage-collage signe Ozmo, rue Piat, à proximité du Belvédère de Belleville, mai 2022)

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