L’Union européenne est la meilleure solution qui s’offre à l’Ukraine face à la menace russe et au désintérêt du gouvernement américain. Pourquoi ne pas lui faciliter une adhésion logique ? Une opinion de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.
L’Ukraine, c’est l’Europe et la guerre contre l’Ukraine est une guerre contre l’Europe et ses valeurs de démocratie, de respect de l’État de droit, de protection des libertés fondamentales et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cette guerre vise également à remettre en cause le droit des nations à se défendre et à choisir librement leurs dirigeants sur un territoire aux frontières reconnues internationalement, incluant la Crimée, le Donbass et tous les autres oblasts envahis par la Russie.
La question ukrainienne et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême-droite aux États-Unis soulève celle des garanties pouvant être offertes au régime de Vlodymyr Zelensky dans le cadre d’une cessation des hostilités à l’est du continent (à moins de 2.000 km à vol d’oiseau de notre pays).
L’Ukraine doit intégrer l’Union européenne
Compte tenu du positionnement actuel de l’Exécutif américain et de son alignement sur les thèses de Moscou, l’une des meilleures conditions de sécurité pour l’Ukraine réside dans l’octroi, le plus rapidement possible, du statut d’État membre de l’Union européenne.
Un accord d’association a été conclu le 21 mars 2014, quelques semaines après l’invasion de la péninsule criméenne, et est entré en vigueur le 1er septembre 2017.
En 2019, l’Ukraine inscrit dans sa Constitution l’objectif d’adhésion de son pays à l’Union européenne et à l’OTAN. Le 28 février 2022, quelques jours après l’invasion russe, elle dépose officiellement sa candidature pour devenir un nouvel État membre de l’Union européenne.
En juin 2022, l’Ukraine obtient le statut de candidat, et les négociations d’adhésion débutent le 14 décembre 2023 à la suite d’un vote unanime lors du sommet européen à Bruxelles (la Hongrie, pro-poutinienne, s’étant abstenue).
Un élargissement inscrit dans les textes
La politique d’élargissement de l’Union européenne est régie par l’article 49 du traité sur l’Union européenne. Celui-ci stipule que « tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 [dignité humaine, liberté, démocratie, État de droit, respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités] et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union ».
L’article 49 précise également que « les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte ».
Trois critères ont été définis lors du Conseil européen de Copenhague en 1993 :
· un critère politique (institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, le respect des minorités et leur protection) ;
· un critère économique (économie de marché viable et en mesure de s’adapter aux lois du marché et à la concurrence à l’intérieur de l’Union ;
· l’intégration de l’« acquis » de l’Union européenne (l’ensemble des droits et obligations communs qui constituent le corpus législatif de l’UE et sont incorporés dans les systèmes juridiques des États membres de l’UE).
Un quatrième critère a été ajouté en 2006 : la capacité d’intégration, c’est-à-dire la capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en approfondissant son intégration).
Une accélération souhaitable
Le processus d’adhésion est en principe assez long, mais rien n’empêche le Conseil européen d’assouplir les critères retenus. La Commission européenne a d’ailleurs annoncé, le 28 janvier 2025, sa volonté d’accélérer les négociations d’adhésion. La situation ukrainienne exige d’agir rapidement, quitte à accorder des dérogations à l’Ukraine ou à lui permettre de remplir certains critères ultérieurement.
L’un des avantages d’une adhésion accélérée et assouplie est l’application immédiate de l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne, qui dispose que « au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies ».
C’est la fameuse « clause de défense mutuelle ».
Précisons que l’article 51 de la Charte des Nations unies prévoit que l’emploi de la force est justifié sur la base du droit à la légitime défense, individuelle ou collective, en cas d’agression armée.
Après les attaques terroristes au Bataclan, au Stade de France et en divers autres lieux de la capitale parisienne en 2015, la France a été le premier pays à solliciter l’application de l’article 42, paragraphe 7.
L’urgence s’impose
L’opposition formulée par certains, selon laquelle il serait impossible d’entériner l’adhésion d’un pays en guerre ou ne disposant pas de la souveraineté sur l’intégralité de son territoire, n’est pas pertinente. Cette position est d’autant moins fondée que l’exemple de Chypre montre qu’une telle situation ne constitue pas un obstacle insurmontable. En effet, Chypre est devenu un État membre en 2004, alors que la partie nord de l’île était et est encore illégalement occupée par la Turquie sous la forme d’une république fantoche, la République turque de Chypre du Nord, non reconnue par la communauté internationale. Bien que le territoire chypriote soit de facto divisé, l’ensemble de l’île est considéré comme faisant partie de l’Union européenne.
Le problème majeur reste cependant l’obligation de ratification unanime par tous les États membres pour toute nouvelle adhésion. Autrement dit, si un seul pays refuse de ratifier l’adhésion, celle-ci ne peut pas aboutir. On imagine déjà la position éventuelle de la Hongrie de Viktor Orbán, voire celle de la Slovaquie de Robert Fico ou de l’Italie de Giorgia Meloni…
À défaut, en attendant des situations politiques plus favorables, d’autres alternatives renforçant la sécurité de l’Ukraine pourraient être envisagées, impliquant uniquement une partie des États membres. Et les exemples ne manquent pas : tous les États membres n’ont pas adopté l’euro, tous ne font pas partie de l’espace Schengen, etc.
Quoi qu’il en soit, l’urgence s’impose, et l’Europe doit assumer ses responsabilités, sans l’aval des États-Unis, et encore moins celui de la Russie, pour démontrer sa crédibilité politique et surtout qu’elle ne lâchera pas l’Ukraine.
Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant (les intertitres sont de la rédaction)
(Photo Hanslucas : le maire de Kiev honoré au Parlement européen, 20 février 2025)