Alors que le groupe confirme la fermeture d’Audi Brussels pour février 2025, Volkswagen, le plus gros employeur d’Allemagne avec 120.000 salariés, envisage de couper dans l’emploi, de fermer trois usines et de réduire les salaires de ses travailleurs. Un séisme au pays du dialogue social constructif. Comment “Das Auto” en est-elle arrivée là ?
Analyse avec Patrick Casselman, Senior Equity Specialist chez BNP Paribas Fortis Private Banking (photo).
Le groupe VW souffre d’une rentabilité trop faible depuis des années, avec des marges de 2% alors que celles du secteur sont en moyenne de 8%. C’est un problème de productivité : trop d’usines et trop de personnel pour le nombre de voitures produites. En comparaison, Toyota par exemple produit plus de voitures que Volkswagen au niveau mondial avec seulement la moitié du personnel.
21 News : Le problème n’est donc pas nouveau ?
P. C. : Non, mais Volkswagen a sans doute tardé à prendre des décisions, pour des raisons politiques. Le Land de Basse-Saxe, où se trouve le siège de Volkswagen, possède 20% du capital de l’entreprise. Ce qui explique sans doute que les mesures nécessaires n’ont pas été prises en temps utile, aggravant ainsi les problèmes.
À la traîne
21 News : Comment Volkswagen a-t-il négocié sa transition vers l’électrique?
P. C. : Il est clairement à la traîne. En Europe, les Français ont mieux négocié le virage. Renault produit des voitures électriques à petits prix, des plus petits modèles à partir de 25.000€ et Stellantis est bien placé aussi. Les voitures électriques de VW restent trop chères et donc ne se vendent pas bien.
21 News : Et aujourd’hui, c’est la concurrence chinoise qui déboule…
P. C. : Les constructeurs chinois produisent évidemment des voitures électriques à des prix plus attractifs que les constructeurs allemands. Et le problème va s’aggraver lorsque les Chinois implanteront des usines en Europe. La première de ces usines, celle de BYD, va démarrer ses activités en Hongrie en 2025, et d’autres vont suivre. L’Europe a imposé une taxe élevée sur les importations de voitures chinoises en Europe. C’est pour échapper à ces taxes d’importation que les constructeurs chinois se lancent dans l’implantation d’usines en Europe. Avec cela, la surcapacité va encore croître et la part de marché des constructeurs traditionnels va encore diminuer.
Des batteries 50% moins chères
21 News : VW souffre aussi sur le marché chinois?
P. C. : La Chine représente la moitié du bénéfice du groupe VW, avec une part de marché supérieure à 20%, mais la situation change vite. En Chine, la transition vers l’électrique est très rapide. Aujourd’hui, 60% du parc automobile chinois est électrique ou hybride. C’est un énorme marché, mais les Chinois produisent nettement moins cher, non seulement parce que leurs coûts de personnel sont moins élevés, mais aussi parce qu’ils utilisent une nouvelle technologie pour les batteries. Ils utilisent des batteries au lithium-fer-phosphate, produites à la moitié du prix des batteries traditionnelles au nickel-cobalt.
Tous les constructeurs européens ont raté ce virage et essayent maintenant de se rattraper en embrayant sur la nouvelle technologie de batteries, peut-être en les important de Chine.
21 News : Est-on parti pour une crise sociale sans précédent chez VW ?
P. C. : La situation sociale chez VW a longtemps été dominée par un accord de garantie d’emploi avec les syndicats. Mais cet accord a pris fin le mois dernier et les suppressions de personnel massives sont désormais possibles. VW avait l’habitude de relations non-conflictuelles avec son personnel – le dialogue social est notoirement meilleur en Allemagne qu’en Belgique par exemple – mais les décisions annoncées risquent de passer difficilement. Il est possible que les négociations avec les représentants des travailleurs atténuent quelque peu les décisions annoncées. Mais les syndicats eux aussi comprennent qu’il y a urgence.
Entretien : Martine Maelschalck
(Photo Belgaimage)